CONCOURS DE POESIE « MATIAH ECKHARD » 2016
Mention spéciale « Universités »
Hommage à Mabrouk Soltani
Au milieu de la montagne, un
corps sans vie
A été trouvé par un chien dans les prairies
Étendu dans l'herbe, noyé dans le sang
Assassiné hier: un enfant de seize ans.
Le jeune berger a été
décapité,
Comme une proie a été jeté
Par des terroristes qui l'ont coupé la tête,
Comme on égorge une bête.
Un autre martyr s'ajoute à la
liste.
Un ange a disparu à cause des djihadistes.
Ce n'est pas assez? Mettons fin aux tueries!
Le terrorisme n'a pas de place en Tunisie!
Rihab Tammar,
Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, 20 ans
POURQUOI MON FRÈRE ?
Frère, pourquoi me persécutes-tu?
On est du même arbre
Fils de la même savane
Avant c'était le colon disait-on
Aujourd'hui, c'est nous même frère
Frères noirs, qui nous entretuons
Pourquoi vends-tu ma peau?
Et mets-tu ma tête à prix?
Parce qu'on a pas les mêmes idées?
Les mêmes points de vue, ni de parti politique?
Frère, pourquoi pilles-tu ton peuple?
Et tues-tu tes frères?
Pour plus de pouvoir et de richesses?
Resteras-tu éternellement au pouvoir?
Alors pourquoi t'y accroches-tu autant?
Frère, pourquoi me prives-tu de liberté?
Parce que je te dénonce?
Ou parce que je ne veux point te ressembler?
Et vous autres frères, vous qui êtes perdus
S'alliant à ceux qui humilient
Oppriment et tuent nos frères
Frères, revenez de vos chemins perdus
Brebis égarés, vous avez vos mains tachées
Du sang, sang de vos frères
Frères, revenez! revenez!
Sinon que nos aïeux maudissent vos sommeils et succès
Et soyez confondus et honteux!
Jusqu'à votre repentance.
Daniel Aziabor,
Tsevie (Togo), 24 ans
L'Allumette
A l'aube où les bruits du Monde
se terrent et anxieux,
scrutent le ciel songeur,
bénissant le retour d'un petit pan de jour,
la jeune fille allumette
s'éveille...
Ses draps sont tièdes, imprégnés de parfums,
Ils ne la cueillent pas seule:
Il y eut sa joue rosie contre le sein de sa mère
lors de son enfance à la tour aux oiseaux,
Il y eut dans ses prunelles la chevelure de Violette,
fébrile suite à la fête, les lèvres alcoolisées...
Enfin son corps à lui, fermeté ondoyante,
averse printanière sur sa poitrine fleurissant,
A l'heure où les bruits du Monde
Gazouillent timides et joyeux,
la demoiselle s'imprègne de la sève des hêtres,
épingle un nuage contre sa robe fluide,
les pensées dans les cimes de son âme
Verdoyant...
Sarah Butard,
Lycée Joffre de Montpellier, 19 ans
Blues
Dans le fracas du va-et-vient les voitures jouent,
Et l’unique réverbère de la rue,
Danse sur les arpèges de guitare
Un blues de velours urbain,
La valse de fumée mêlée au vin.
La lune hurle en chromatique nocturne
Les arbres poussent, libres, en sourdine
Quand ta voix de lune cajole
Et que le vent souffle sur les terrasses
Au rythme de saxophone
Je me coule
Dans le jarre de la nuit
À chaque demi-ton
Les jeunes s'égarent entre les murs
En synchrone
Au ciel s’accrochent les étoiles vermeilles
Et jaunit tout rayon
Alors que je descends au lent sommeil.
George Alexandru Pirlog,
Collège National Unirea Focsani (Roumanie), 18 ans
Les chimères d’une créature
L'Homme est une mosaïque de créature,
Craignant la mort, ses rêves le rassurent.
Les Hommes sont les êtres prosaïques du créateur
Craignant leur sort, rêver les mènent-ils à l'erreur ?
J'ai rêvé de voyages comme Ulysse
De système solaire sans éclipses,
De mers déchaînées par le dieu au trident
Loin du monde citadin et du vieil occident.
J'ai rêvé Liberté, d'inhaler son parfum
Que son odeur émane de mes alexandrins.
J'ai rêvé de montagnes, de l'horizon des Moai,
De fleurs et fleuves, et d'apprendre des batailles.
J'ai rêvé des anneaux de Saturne,
De saturer de plaisir à voir danser ma plume.
J'ai rêvé des temples Cambodgiens d'Angkor
Et encor d'autres merveilles de notre décor:
Des hauteurs Inca du Machu Picchu
Aux souterrains turcs de Derinkuyu.
J'ai rêvé d'espoir, de lutte pour le savoir,
De déserts où l'oasis est un grimoire;
J'ai rêvé de cicatrices parées de dorures,
De fontaine de jouvence émanant des sutures,
J'ai rêvé d'un retour dans les arcanes de Chronos
Et de réponses sur l'immensité du cosmos.
Oui la créature s'est noyée dans les eaux destructrices
Réfléchissant son reflet qu'elle admirait comme Narcisse,
J'entends l'Echo de ses adieux dans ces nuages
Créateurs de perles s'aventurant sur mon visage.
L'Homme est une mosaïque de créature,
Craignant la mort, ses rêves le rassurent.
Les Hommes sont les êtres prosaïques du créateur
Craignant leur sort, rêver les mènent-ils à l'erreur ?
J'ai rêvé des pyramides du saint sol égyptien
De ruines désolées et du Saint-Suaire de Turin,
J'ai rêvé d'ascension, physique et spirituelle,
Et pour cela d'apprendre de nos erreurs perpétuelles,
J'ai ainsi rêvé du volcan destructeur de Théra,
De rebellions naturelles contre l'Homme scélérat,
De leçons Atlantes, de cataclysmes anxiogènes,
Des souvenirs du devenir de la civilisation Minoenne.
J'ai rêvé d'un déluge, d'une fin précipitée,
Des équinoxes au calendrier troublé,
J'ai rêvé de braver la mort par mes écrits,
D'enluminer mes lettres pour garantir ma survie,
j'ai rêvé d'être poussière figée parmi les comètes
Enrayer les cycles, éclairer d'une lumière discrète
Les futurs Hommes ignorants que leur destin funeste
Est écrit là-haut entre les crépuscules célestes.
L'Homme est une mosaïque de créature,
Craignant la mort, ses rêves le rassurent.
Les Hommes sont les êtres prosaïques du créateur
Craignant leur sort, rêver les mènent-ils à l'erreur ?
Etienne Kheops
A chaque poète que j'ai croisé (et ceux qui s'ignorent)
Du pain et des jeux demandent certains. Du pain et du vin pour les chrétiens. Et pour vous cher poète, du pain et du soleil pour faire pousser vos cœurs, éclore votre colère et germer la liberté.
Il n'y a en vous aucun drame qui n'ait son souffle, aucune prière qui n'ait son autre, aucun geste qui n'ait sa volupté, aucun détail aucun qui ne mérite son nom de détail.
Avec vos mots, ou avec votre vie, j'entends par là votre présence, vos muscles à l'affût d'une action où s'accomplir, vos pensées en quête d'une idée où s'accrocher pour de bon, vos âmes en désir d'autres où s'imbiber. Avec vos mots oui ou avec votre vie, vous m'avez abordée par la respiration, empreinte de rêves, là encore merci à vous de redéfinir le sens de ce mot, de l'armer au réel.
Vous pour qui le sens d'un mot est une trappe qui nous entraîne dans des souterrains impossibles où les sens serpentent en de nouveaux tunnels terribles et bouleversants d'obscurité.
Mais en grattant la terre, en caressant les murs jusqu'à les imprimer aux paumes, espace organique, n'est-ce pas des bris de lumière qui éclatent plus loin que ce qu'on peut voir. Vous êtes à l'image de ces tunnels et de vos poésie parfois surréalistes, toujours vraies, préssemment humaines, vous êtes trempés de silences et de creux, pour mieux accueillir l'autre et sa fragile liaison, lumineuse.
Vous, humain kaléïdoscopique, reflétant les laits du ciel et les devenir-rester animal et végétal. Vous m'êtes vacants et me bombez dans cet espace où tout se dit, où je ne cherche pas mais reçois toujours les cris qui ont été contenus dans la cave au réel.
Sous terre oui, bien plus qu'au-dessus ou qu'au cieux, sous les mers et les volcans, où se trame une révolution utopique. Gloire au désordre alors honte à mes audaces enfouies qui ne sortent de moi qu'à l'appel des votres. Défrichez encore le langage, déchiffrez encore les horizons. Vous m'appelez ! Vous m'appelez ! Parmi les désastres de l'Homme, j'entends vos pages qui demandent mon regard ; et pour vous lire et pour vous vivre. Je regarde un.e seul.e de vous comme si vous êtiez un milliard, c'est que dans vos veines cheminent un infini et un amour généreux qui donnent, qui donnent à être foulés.
Vous qui avez l'âme aussi lourde qu'un livre, que milles vies par la lecture vécues, qui questionnez le temps, l'envie et surtout l'argent. Vous qui m'avez attentée par vos mots et par tous vos yeux. Vous qui n'effleurez rien mais empoignez tout : l'autre, l'horizon, le souffle et les instants. Je le dis oui : vous êtes reconnaissables à votre intensité : vous ne marmonnez pas, vous criez, vous ne marchez pas, vous titubez, vous n'écrivez pas, vous aimez !
L'âme des poètes est dans la peau, leurs idéaux dans l'action. Vous êtes vivants ! Vous êtes vivants !
Et je vous aime. Je vous aime pour la vie qui se tend, se tord et nous délivre par vos ventres ainsi ouverts, vos trippes conduites par vos mots.
Toi le mort depuis 100 ans, toi la censurée d'il y a 2500 ans, toi l'ami, toi séparé.e par l'océan, toi le professeur, toi l'amante, toi la mère, le grand père, et vous tous qui ne savez pas, peut-être pas encore, quelle poésie vivote dans n'importe lequel de vos choix et de vos élans. Toi qui me touches par toutes les mains du vivant.
Mélissa Pagès,
Université de Toulouse, 23 ans
L'aube des temps ou pérégrinations d'une âme solitaire
Recluse dans mon monde souterrain
Je m'imagine un univers qui n'est que mien
Je peux tout créer dans ce songe enchanté
Ayant comme une overdose de réalité
Il n'y a que dans mon esprit que je peux trouver la paix
Dans cette cage virtuelle
Où se mèle l'imaginaire au réel
Je veux trouver la clé qui me délivrera de votre monde tourmenté
Mais les signes pour me guider sont durs à décoder
J'aimerai de nouveau m'allonger à l'aube des temps
Pour mettre fin à ce tourment
Regarder le cosmos pendant un bref instant
C'est si calme et reposant
J'en ai parlé à mon âme, lui ai dis la force de mes sentiments
L'éphémère parfois me fais si peur
Je ne veux plus être l'esclave des heures
Qui semble m'avoir fait devenir un automate
Comme si une horloge se trouvait dans mon dos entre mes omoplates
Juste une marionnette ensorcelée
Liée à des rouages invisibles et mécanisés
Ce tic tac incessant s'entrechoque dans mon esprit
Il doit y avoir bien plus dans cette vie
Je me sens si différente de la matérialité de ce monde
Dans cette société si superficielle qui nous mène dans sa ronde
Il y a bien une faille je veux repirer,m'évader
En vérité je suis brisée
Des larmes qui longtemps se sont tues se mettent à couler
Comme un poids qui dans mon cœur veut s'alléger
Je suis soulagée car ma douleur semble arréter le temps
Mes larmes bloquent les aiguilles et le tic tac s'est tu pour quelques instants
Je suis là allongée à l'aube des temps
A admirer l'Univers qui vit silencieusement
Envahis par le flot des astres
Il n'y a plus rien qui nous encastre
Dans cette danse interstellaire
La vie semble encore plus un mystère
Pourtant je sais le danger de mon monde inventé
En sortant de cet enfer éphémère ne me suis-je pas moi-même piégée ?
Je ne peux plus sortir de mon esprit
Manon Saturnino,
Ossun (65), 20 ans
Nuit ouverte
Je conte aux chemins
l'absence de tes pas
Je conte à mon corps
l'absence de tes lèvres
Partie avec la dernière nef
ton unique présence
me hante où ton rire s'est perdu
Je conte aux voiles qui m'aveuglent
tes draps tendus de clous d'or
Je conte aux pierres qui me couvrent
les murailles de ton royaume renversé
Tu m'as porté en enfant où se brise la nuit
D'un faux jour couvrant ton innocence empruntée
Dérivant – ô marins ! – de la pierre au feu,
de la promesse au plus secret delta
Je conte aux ruelles sourdes
l'absence de ton sang
Je conte à la lune muette
l'absence de ton œil
J'enseigne à tes draps comment se déchirer
J'enseigne à ma voix comment se perdre
Je conte aux rues solitaires ma dernière présence
Ton corps est un petit tas d'images brisées
de secrets oubliés des hommes
Mes souvenirs puisent en vain
dans l'eau où ma main se casse
Je me conte à moi-même les arcanes de ta science
les arcanes de tes lèvres, de ton œil, de ton sang
Je me conte encore cette voix qui disait :
« Si tu m'aimes, tu dois te perdre »
Lèvres, œil, sang
Je sais à quelle volonté j'obéis
Je sais en quel pays je me perds
Mais vous, je n'ai pu vous perdre
ne vous ayant jamais possédés
À ce dernier fantôme, ce peu de terre
À cette première absence, ce peu de jour
Recueilli là, dans cette nuit.
Benjamin Saltel,
Université Paul-Valéry de Montpellier, 24 ans
Il faut fuir le monde des hommes.
Il y a de terribles vérités qu'il vaut mieux chanter.
Des mots et des voix qui d'ironie sont teintés.
J'ai trouvé dans mon long séjour solitaire,
Un endroit où me réfugier, en marge, un repos solaire.
Le rythme chaloupé de tes hanches,
Ces coups secs et frénétiques,
Ont laissé sur les draps cette tâche blanche,
J'ai fermé les yeux dans un calme stoïque.
Tu as joué avec la coïncidence de ma présence.
La douleur appelle un apaisement quand elle prend retraite.
Perdue dans une forêt de conventions, et seule face à l'absence,
J'ai dû simplement attendre que tu t'arrêtes.
Tu avais cette volonté de ne pas rendre ma voix identifiable,
Comment exister? Dans un monde effroyable.
Je veux un univers de distance, m'écarter des indignes préoccupations.
Une plaine où je ne sentirai plus ces vibrations.
Enhardie de ta distance, j'ai ce rêve insociable
Un monde où tu n'es plus en vie.
Est-ce que mon ataraxie est restituable?
Me remettras-tu ce que tu as pris?
Maureen Burlot,
Institut d’Alzon de Nîmes, 19 ans
Trêve
Savourons ensemble, en ce glorieux jour de trêve,
Le bref entracte de cette comédie barbare,
Fermons pour un instant nos yeux hagards
Et que du cauchemar jaillisse le rêve !
Tarissons la source de nos conflits
Et que le regard torve se dessille
Sur la beauté de visages jadis enlaidis
Pour ne plus y voir que le frère et l'ami.
Prenons le parti de rester sourds
Aux rumeurs des chars hurlants
Aux terrifiants échos des tambours.
Fêtons en chantant cet événement !
Délaissons l'élégance de nos écorces.
Que nos armures fondent et s'égrènent
Sur le terrain boueux de nos peines.
Ainsi, vulnérables, nous prouverons notre force.
Renouons avec le luxe fantastique
D'un bain de minuit aux rives du Pacifique
Où des marins, suivant le courant de l'eau
S'immergeraient dans les ports d'autres peaux.
Cédons à la tentation d'un imaginaire
Où nous reposerions hors de la guerre
Un univers où l'amour n'aurait pas de fin,
Où la grâce nous toucherait enfin !
Gagnants ou perdants, nous rêverons de grandeur
Désarmés et dépourvus d'ennemi.
Nous avancerons vers la nouvelle patrie
Bâtie sur notre incoercible candeur.
Pour qui a connu la paix,
La peur devient un art abstrait,
Un sommet de bassesses,
Un présent sans adresse.
Serge Pourrowsky,
Sarrebourg (57)
Tierra incognita
Pour G.S
Il y avait tant d'océans, tant, pour mon frêle bateau,
Où il eut pu mouiller, sans crainte des coraux !
Sans fléchir mon esquif a fendu les lames bleues,
À la poursuite d'horizons vides
Où le soleil pendait, comme un vieux bibelot,
Sur une mer de rides.
Ma poupe fière et lustrée tenait tête aux naufrages,
Ils ont couché ma voile sur des baies isolées
Et je ne savais plus, si l'eau dessus mes joues
Étaient mes propres larmes
Ou l'écume des eaux.
Me croiras-tu niño ?
Je n'atteindrai jamais le bout du monde.
Des pétales de mouettes fleurissent le ciel
Par dessus le bras de mer, qui me retient au bord
D'une île, encensée par la lune.
Coulez, bateau, linges ! Mer ! Prends ma nudité !
Isoles-moi dans ce songe
J'aborde sur un nouveau continent :
Ton corps, plein de rives secrètes.
Je m'enfonce dans tes forêts inconnues.
Je remonte tes fleuves soyeux.
Je nomme cette terre, je lui donne des noms terribles !
Cette île est mon asile,
Je plonge dans tes racines
Et tes gouffres sans fonds
Je plante en toi mes dents
Drapeaux blancs sur tes flancs
Et peaux rouges, sous les draps...
Je découvrirai des coutumes sauvages, qui tapissent la jungle
Là où tout n'est que noirceur et cris.
J'affronterai des fauves qui savent griffer les cœurs,
Et boirai à des sources tièdes comme les fruits mûrs,
Aux cimes des canopées, à la tombée du jour.
La quête est finie. Sous l'eau, les épaves se taisent,
Le soleil s'apaise, dans la mollesse des vagues
L'île s'endort, bercée par la mer. Il m'aime...
Dans la nuit du grand large, une voile déjà s'avance
En quête d'aubes sableuses, et de terres inconnues
Car, hélas, l'homme que j'aime, n'est pas une île, mais,
Un océan. Que mes bras ne peuvent retenir.
Pauline Kovacic, Toulouse, 24 ans